Horst G. Klein et Dorothea Rutke
Eurocom
rom: pour un plurilinguisme européen
Plus de la moitié des Européens de l’U.E. parlent une langue romane comme langue maternelle. Parmi les autres Européens, l’apprentissage de langues romanes comme langue étrangère est très fréquent, il n’est dépassé que par l’anglais: Une «Romanophonie» pourrait s’appuyer donc sur une base large, tandis que ses valeurs intercompréhensives ne sont pas encore suffisamment mises à la disposition d’un publique européen. Au contraire: les nations créent de plus en plus des barrières entre les langues romanes en institutionnalisant les différences et non pas ce qu’elles ont en commun. En Allemagne où l’on trouve encore la philologie romane (Romanische Philologie) comme unité d’études on peut observer en même temps une tendance vers une spécialisation en études unilingues (Einzelphilologien). Un tel séparatisme linguistique à l’intérieur d’une seule famille renonce aux avantages intercommunicatifs et intercompréhensifs offerts par les langues romanes. Le phénomène de l’intercompréhension est largement connu, pas seulement parmi les romanistes. C’est le résultat d’une tradition de l’écrit et d’un héritage culturel - une partie importante de l’unité intellectuelle du continent européen - qui rend les langues romanes si accessibles.
Lorsque nous parlons de «Romanophonie» nous nous limitons à l’aspect d’une compétence réceptive des langues romanes à base de la connaissance d’une d’elles. Ce n’est donc pas l’appartenance à un groupe linguistique comme pour le francophone la Francophonie, pour l’hispanophone l’Hispanophonie etc..., le «romanophone» participe à une famille linguistique, il acquiert l’accès à plusieurs langues.
Klein et Stegmann (1996) ont développé une méthode appelée EUROCOMROM pour devenir «romanophone» à base de la connaissance de l’allemand, l’anglais et le français. C’est le français qui a été choisi comme point de départ roman pour les étudiants allemands à cause de son rôle important dans le système scolaire et de sa proximité historique avec les autres langues romanes sous sa forme écrite (laquelle n’est pas donnée de la même manière sous sa forme parlée).
1. Conceptions linguistiques de la «Romanophonie»
EUROCOMROM repose sur la possibilité de transférer les structures de base macrosyntaxiques d’une langue romane à n’importe quelle autre. C’est le cas pour la majorité des phrases principales et une grande quantité de syntagmes d’une langue romane. Environ 98% des structures syntaxiques d’un texte en langue romane sont valables pour toutes les langues romanes ce qui peut être illustré par l’exemple des neuf phrases principales:
P1: PN + V (être) + PN (Nom) Yvonne est étudiante.
Yvonne è studentessa.
P2: PN + V (être) + ADJ Yvonne est sympathique.
Yvonne è simpatica.
P3: PN + V + PN (Acc) Yvonne aime la vie.
Yvonne ama la vita.
P4: PN + V Yvonne dort.
Yvonne dorme.
P5: PN + V + PP Yvonne dort dans le bureau.
Yvonne dorme nell’ufficio.
P6: PN + V + PN (Acc) + PP Yvonne lit un livre dans le bureau.
Yvonne legge un libro nell’ufficio.
P7: PN + V + PN (Dat) Yvonne s’adresse à un collègue.
Yvonne si dirige a un collega.
P8: PN + V + PN (Acc) + PN (Dat) Y. donne l’information à un collègue.
Y. dà l’informazione a un collega.
P9: PN + V + PN (Dat) + PP Y. s’adresse à un collègue dans le bureau.
Y. si dirige a un collega nell’ufficio.
A cette base et à d’autres syntagmes parallèles il faut ajouter une série de parallélismes morphologiques, que l’on peut représenter dans des schémas de reconnaissance comme p.ex. celui pour la désinence verbale de la première personne du pluriel:
voyelle |
+ |
consonne nasale |
(+) |
(s, o) |
||||
a e i o |
+ |
m n |
(+) |
s o |
Ce modèle offre la structure des désinences romanes qui correspondent au morphème -ons du français et qui reposent sur une consonne nasale centrale précédé d’une voyelle et suivi (ou non) d’un -s ou d’un -o.
Le «romanophone» se servira ensuite de deux groupes d’informations pour comprendre un texte dans une langue romane: de la romanographie et de la romanolexie.
La romanographie est l’ensemble des particularités de l’écriture de chaque langue romane qui sert à disambiguer des traditions graphémiques. Par une étude historique et comparative des écritures des langues romanes Klein et Stegmann ont constaté que ce ne sont que 6 phénomènes de changement phonologique qui ont différencié les conventions graphémiques des langues romanes: La palatalisation et son empêchement, la nasalisation, l’assimilation, la vocalisation et la sonorisation. Pour l’ensemble des langues romanes on trouve ainsi 44 graphies (dans de différents entourages). En se limitant à ces phénomènes on arrive facilement à reconnaître les traditions spécifiques de chaque langue.
La graphie romane pour le [k] peut être réalisée dans toutes les langues romanes par c-, devant -a, -o, -u. Lorsque le c est suivi par une voyelle palatale comme -e et -i historiquement la prononciation [k] change en [s], [ts], [ts] ou [g] dans les différentes langues romanes, mais la graphie reste intacte. Si cette palatalisation ne se produit pas, c’est-à-dire si la langue maintient la prononciation [k] devant une voyelle palatale, il faut s’attendre à une autre graphie: p.ex. le qu- où ch-. La graphie ch- pour le son [k] est une particularité de l´italien et du roumain comme la graphie qu- ([k]) pour le français et d’autres.
En apprenant que la graphie -i à la fin d’un mot roumain meci n’est qu’un signe palatal, qui change la prononciation d’un -c en [ts], et s’il s’agit d’un texte d’une revue de sport, le sens de meci [mKts] devient évident.
La romanolexie possède quatre sources à exploiter: Les interlexèmes européens (lexique international), le vocabulaire panroman, les éléments panromans de formation de mots (pré- et suffixation) et les correspondances phoniques.
L’interlexème européen est une unité de base du lexique plurilingue qui représente les (allo-)lexèmes de différentes langues qui, du point de vue du concept, sont équivalents et, du point de vue de la forme, se présentent comme congruents (très proches). Les allolexèmes entre-eux sont toujours marqués par une sorte de pénidentité, c’est-à-dire, on s’approche par l’interlexème à la signification d’un énoncé dans une langue parentée ou voisine. C’est ainsi que ces interlexèmes forment un registre européen pour une didactique plurilingue (cf. Meißner 1993). Ce lexique international représente l’héritage culturel européen et le contact entre les langues européennes. Les interlexèmes ne doivent qu’être reconnus. Pour détecter et comprendre ces termes, les auteurs d’EUROCOM ont établi une liste de plus de 5.000 mots - partant du lexique allemand - qui, par des associations et des analogies, invite à identifier d’autres interlexèmes non mentionnés.
Les langues romanes possèdent un vocabulaire panroman à différents degrés. Basé sur Juilland (1965, 1971 et al.), Stefenelli (1992) et les travaux de l’équipe de Marius Sala (1988), Klein et Stegmann ont établi un inventaire de 504 mots qu’ils considèrent être l’héritage commun des langues romanes. Parmi ces mots 39 sont d’une panromanité absolue, c’est-à-dire qu’ils existent dans toutes les langues romanes. Le premier degré de panromanité est obtenu si un mot fait parti du vocabulaire d’un minimum de 9 langues romanes (liste de 147), la liste du deuxième degré de panromanité contient les 264 termes qu’on retrouve dans 5 à 8 langues romanes. A ces deux listes s’associent 73 éléments fréquents du latin savant ainsi que 20 éléments germaniques.
Les éléments panromans de formation de mots, les préfixes, infixes et suffixes, reposent surtout sur les formations savantes du superstrat culturel gréco-latin. Ces euromorphèmes, valables aussi pour les langues non-romanes, sont le résultat d’un phénomène d’européisation des langues à cause d’un superstrat culturel européen (cf. Schmitt 1996: 135).
Une vingtaine de formules de correspondances phoniques facilitent l’accès à base de l’écriture. Avec ce nombre très réduit on arrive à «démasquer» des milliers de mots qui, à première vue, ne sont pas identifiables. Ces formules sont strictement synchroniques, sans référence diachronique. Elles ne montrent que les correspondances actuelles comme p.ex. dans le cas du -pt- intervocalique roumain:
-pt- |
opt, noapte |
@ |
-it- -tt- -kt- -ch- -it- |
fr. huit, nuit; cat. vuit, nit it. otto, notte lex. int. all. Oktave, nokturn esp. ocho, noche pg. oito,noite |
Très peu de mots échappent à la romanolexie: Chaque langue romane ne possède qu’une vingtaine de mots, comme p.ex. le amb catalan et le mot avec du français, qui peuvent être considérés comme des particularismes. Le roumain fait exception à cause de la composition de son inventaire lexical. Le taux des fautes de reconnaissance de mots est légèrement élevé (4%). Ces fautes sont presque uniquement limitées aux particularismes lexicaux du latin danubien et aux mots d’origine slaves. C’est pourquoi il fallait une liste lexicale additive des 50 mots les plus fréquents d’origine autochtone, slave, hongroise, grecque et turque pour intégrer aussi le roumain.
Il ne reste qu’à mentionner les faux amis qui, en tout cas, sont un problème mineur pour l’acquisition d’une compétence réceptive.
2. Conception didactique pour la «Romanophonie»
Les principes linguistiques de la méthode EUROCOM exigent une nouvelle conception didactique. Il ne s'agit pas d'une méthode d'enseignement classique, c'est plutôt le contraire qui est envisagé: éviter de réapprendre les choses qu'on connaît déjà; apprendre à se rendre compte de ses propres connaissances linguistiques, à employer la capacité innée à détecter des analogies et la faculté de déduire et de deviner le sens d'une phrase intégrée dans un texte.
C'est pourquoi la méthode didactique est basée sur ce que les auteurs ont appelé «détection optimée». La technique employée lors de la détection optimée s'oriente à l'interferencing (Carton 1971; Walter 1987) qui permet l'acquisition d'un nouvel élément (p.ex. lexical) sans apprendre un nouveau concept. Pour l'interferencing il suffit de s'approcher du «nouvel» élément par probabilité ou par le sens courant, on peut même se contenter d'abord d'une idée vague du contenu, d’un acheminement vers le sens par le contexte, sans insister sur la précision.
Puisque la méthode est strictement limitée à la compétence d'un texte écrit on commence par des textes en vocables internationaux en différentes langues. Par une série de sept filtres (basés sur les conceptions linguistiques mentionnées) on augmente la capacité de «détection optimée» en travaillant avec des textes dans toutes les langues romanes. En même temps on développe par cognition une connaissance des particularités de chaque membre de la famille linguistique, qui sont limitées à ce qui ne passe pas par les filtres. Ainsi on profite de la fascination de l'«étranger» tout en sachant le définir.
Ce qu'on apprend après l'emploi des sept filtres ce ne sont que les particularismes et les traits caractéristiques des langues romanes. Ce qu'on sait après leur emploi, c'est comment se servir de l'intercompréhension. La compétence réceptive basée sur la parenté et les interlexèmes européens offre un accès au plurilinguisme européen.
3. Avantages de la «Romanophonie»
Le romanophone qui se définit donc comme une personne qui parle une langue romane et comprend les autres jouit de différents avantages:
Il apprend par cognition. C'est-à-dire qu’il se limite aux éléments essentiels. Profitant de ses connaissances linguistiques et de la parenté des langues romanes, il accélère son procédé d'apprentissage. Il économise donc du temps et du travail. Sa compétence réceptive ne s'arrête pas à une seule langue. Les langues ne lui sont plus étrangères, elles sont de la famille. Il n'y a donc plus de barrières à franchir pour atteindre un plurilinguisme. L'accès réceptif facilite aussi l'acquisition d'une compétence productive.
En offrant ainsi un accès facile à toutes les langues romanes, y compris les langues moins répandues et moins étudiées, la pluralité des langues en Europe devient plus acceptée, respectée et par là-même protégée.
Le développement d’une conscience européenne, dont fait partie la pluralité des langues, est encouragé par une évolution qui passe d’un multilinguisme en Europe à un plurilinguisme européen à base romane, germanique et slavique qui est encore à créer.
Par le système EUROCOM on dépasse donc les différences institutionnalisées. Le public envisagé par cette méthode était jusqu’à présent estudiantin. Pour renforcer une conscience européenne qui doit surmonter des barrières linguistiques existantes, les états devraient se servir de la compétence réceptive dans leurs systèmes d'éducation. La compétence réceptive basée sur une famille de langues est un passe-partout pour le plurilinguisme européen.
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