Horst G. Klein,Klein - Université de Francfort/Main, Allemagne
Le concept
d’eurocompréhension signifie intercompréhension dans les trois grands groupes
linguistiques européens, à savoir les langues romanes, slaves et germaniques.
Il s’agit, en respectant les objectifs[1]
de la politique linguistique de l’Union Européenne, de parvenir de façon
modulaire au plurilinguisme par le biais de compétences réceptives. Dans ce
cadre, les recherches linguistiques effectuées sur l’intercompréhension
fournissent les bases de transfert interlangues pour l’exploitation cognitive
de la parenté entre les langues des groupes différents.
Depuis le congrès « Chemins vers le plurilinguisme »[2],
organisé par l’Université à distance de Hagen en 1998, il s’est établi en
collaboration avec celle-ci le groupe de recherche EuroCom®, dont je
suis le rapporteur. Cette collaboration a pour but de faire avancer les
recherches sur l’eurocompréhension[3].
Un an après sa fondation (1999), le groupe EuroCom s’est vu attribuer à
Vienne/Autriche le Sceau Européen des Langues en vertu du caractère innovateur
du projet EuroCom.
Parmi les travaux sur l’intercompréhension européenne dominent actuellement
encore ceux qui ont pour objet le groupe des langues romanes. Je me
concentrerai ici de citer que les grands projets, sans parler des travaux
précieux comme le tandem de langues, les nombreuses initiatives de moindre
envergure et pourtant souvent très importantes. Je pense aux travaux de base de
Reinheimer & Tasmowski[4]
ou de la tradition de l’enseignement des langues slaves par l’intermédiaire de
langues-pont telle qu’on la connaît aux Etats-Unis. Et je ne parlerai pas non
plus des très méritantes recherches en didactique du plurilinguisme telles qu’elles
ont été avancées par Meißner et Reinfried[5].
Les différents projets peuvent être classés grosso modo en cinq
groupes :
Les projets de Hagen
- Les cours de lecture
- IGLO
- Apprendre pour l’Europe
Intercommunicabilité romane
Eurom4
Galatea
EuroCom
2.1. Au départ des nouveaux projets de plurilinguisme, on a vu, en
Allemagne, une initiative des sciences sociales de l’université à distance de
Hagen.
2.1.1. Le projet-pilote, soutenu entre 1995 et 1998 par l’UE, concernait
les cours de lecture interculturelle de Hagen[6].
Ils se servaient déjà d’une langue-pont (allemand) pour faire comprendre des
textes de la culture cible. Le projet incorporait des textes d’une langue de
spécificité (sciences sociales). Ainsi cette méthode était à la disposition de
personnes désireuses d’acquérir une compétence de lecture sur une base
intercompréhensive. L’intention didactico-linguistique n’était que
sous-jacente. La focalisation du projet, dont est d’ailleurs sorti un cours de
lecture pour le néerlandais et pour le danois sur CD[7],
sur les sciences de l’éducation implique la limitation à une sorte de texte et
sert avant tout à dépasser les barrières monolingues traditionnelles.
2.1.2. Encouragé par les expériences faites avec le projet-pilote,
l’université à distance de Hagen a démarré en 1999 le projet IGLO, financé pour
trois ans par Socrate et Lingua. Le but de ce projet est, partant de
l’expérience de l’intercompréhension scandinave, de créer une
intercompréhension concentrée sur les compétences réceptives entre sept langues
germaniques (danois, allemand, anglais, islandais, néerlandais, norvégien et
suédois) et de la mettre à disposition sur la toile dans la plus pure tradition
du télé-enseignement de Hagen. IGLO signifie Intercomprehension in Germanic
Languages Online[8].
2.1.3. Partant de l’architecture des cours de langues de Hagen, le
projet soutenu par UE et commencé en 2000, « Apprendre pour
l’Europe », doit transmettre le plurilinguisme receptif pour la
communication scientifique en Europe Centrale et de l’Est. Ce projet se
focalise sur des textes de sciences humaines et sociales et comprend, mis à
part l’allemand et le néerlandais, le polonais et le tchèque[9].
2.2. En Europe, c’est surtout l’intercompréhension partielle telle
qu’elle fonctionne en Scandinavie qui joue le rôle de stimulus pour tous les
projets d’intercompréhension, qui se sont cette dernière décennie surtout
occupés des langues romanes. Les langues romanes, dans leur diversité et avant
tout par la connaissance de la lente divergence due aux développements historiques,
sont un challenge particulier pour les recherches sur l’intercompréhension
européenne.
Déjà dans les années quatre-vings, on remarque surtout en Allemagne où
les études romanes – comme en Scandinavie – ont une forte tradition, un abandon
du monolinguisme absolu, mais qui ne mène qu’à partir de 1990 à une discussion
plus approfondie. Citons ici comme exemple des nombreux travaux (Raasch,
Krüger, Preuss, Barrera-Vial et beaucoup d’autres) ceux particulièrement
productifs et faisant date de Franz-Joseph Meißner, qui, le premier, a fait de
la didactique du plurilinguisme[10]
une discipline indépendante.
2.2.1. Le modèle de l’intercommunicabilité romane de l’université de
Aarhus[11]
est considéré comme la première tentative d’envergure d’atteindre des compétences
en italien, portugais et espagnol en utilisant le français, langue
traditionnellement dominante dans les cultures romanes, comme langue dépôt.
Ce modèle, en ce sens comparable avec la méthode EuroComRom, transcrit les bases d’intercompréhension phonético-phonologiques
et morpho-syntactiques issues de la linguistique diachronique dans des
représentations purement synchroniques. Les capacités visées s’orientent sur
les expériences de l’intercompréhension scandinave et doivent, à côté de
compétences réceptives, transmettre des compétences productives, ce qui est
bien sûr difficile à faire dans un environnement éloigné de la langue cible.
Mais il s’agit en fait surtout d’éveiller la conscience des apprenants
« qui ne savent pas encore qu’ils arriveraient si facilement à communiquer
dans les autres langues »[12].
2.3. Le projet EuRom4 (livre et CD), une œuvre commune des universités
de Salamanque, Aix-en-Provence, Rome et Lisbonne, développé sous la direction
de Claire Blanche-Benveniste et André Valli, a pour but de permettre à un
locuteur natif romano-phone de pouvoir lire et entendre les langues romanes
autres que sa langue maternelle. "Le but est donc moins de posséder une
langue que de « redonner le goût de couvrir ces langues et l’assurance [
de pouvoir] y parvenir […]. »"[13]
Basé sur des méthodes contrastives d’analyse, ce travail « ne parvient pas
à dépasser sur le plan de l’enseignement (malgré l’utilisation de logiciels et
de textes acoustiques) la méthode du schéma grammaire-traduction »[14].
Manuel et CD réussissent à sensibiliser l’apprenant à une certaine conscience
linguistique.
2.4. Le vaste programme européen de recherche Galatea a été lancé
par la spécialiste en didactique des langues étrangères Louise Dabène et par
Christian Degache (Grenoble) en collaboration avec des scientifiques de
Grenoble, Aveiro, Barcelone, Madrid et Rome. Les travaux préparatoires, qui ont
duré des années, ont analysé les stratégies de décodage dans des langues
proches. Ceci concernce les régularités de transfert interlangue, les faux amis
et les hiérarchies dans la composition du texte. Les résultats obtenus pour la
recherche de l’intercompréhension dans la romania sont remarquables. La
pré-version disponible des CD suppose pour les francophones l’exploitation de
la parenté des langues pour les langues cibles (que sont dans ce cas
l’espagnol, l’italien et le portugais), afin qu’ils parviennent très vite (au
fur et à mesure de leur découverte en autonomie) à une compétence de lecture.
Je renvois ici à l’intervention de Christian Degache dans la section 3 du
congrès de Hagen.
2.5. Le projet EuroComRom de l’université de Francfort/Main[15]
utilise le français comme langue-pont, pour parvenir, par le biais de vastes
bases de transfert linguistiques (« Les sept passoires ») à transmettre
aux apprenants une capacité de lecture. A ces fins, il a développé la technique
de la conceptualisation inductive optimisée, et ceci pour toutes les langues
romanes. Dans le premier volume, on trouve, à côté du français, l’italien, le
catalan, le portugais, l’espagnol et le roumain comme langues devenues
intercompréhensibles grâce à cette technique. Un volume particulier complètera
dans un proche avenir ce panorama pour les langues européennes régionales,
moins répandues (« romania minor »). Théoriquement, n’importe quelle
autre langue peut servir de pont, comme l’ont montré de nombreux tests. Mais le
français comme langue cible est soumis à des limitations (ce qui a déjà été
mentionné dans le projet de Aarhus) : le passage de la compréhension écrite
à la compréhension orale nécessite la mise en œuvre d’autres moyens. EuroComRom utilise toutes les
possibilités offertes par les différentes orientations de la linguistique
romane[16]
pour développer une compétence de lecture pour toutes les parties de la romania.
Par le biais des stratégies inférentielles introduites les unes après les
autres, des correspondances interlangues, des rapports entre graphies et
prononciation au niveau des internationalismes, pan-romanismes,
pan-européismes, des structures syntactiques pan-romanes et des formules
structurelles morpho-syntactiques, on parvient à une prise de conscience
linguistique romane. Celle-ci ne s’arrête pas aux langues romanes. Bien sûr,
les textes étudiés ne sont pas suffisants : les stratégies de transfert doivent
faire l’objet d’un entraînement particulier et ont besoin d’être didactisées
selon les apprenants. Le groupe EuroCom s’est entre-temps attelé á cette tâche.
En s’appuyant sur l’ouvrage de référence pour les langues romanes, le
groupe de recherche EuroCom a développé de nombreux projets qui peuvent se
classer dans les groupes suivants : 1. Projets d’implémentation dans EuroComRom et les adaptations à d’autres
langues de départ, 2. les projets dans le cadre de la didactique et destinés à
passer de la compétence de lecture réceptive à la compétence auditive (EuroComDidact), 3. développement des
bases de transfert pour les langues slaves (EuroComSlav)
et 4. le développement de l’intercompréhension pour les langues germaniques (EuroComGerm).
3.1.1. En collaboration avec les chercheurs du groupe EuroCom, des
informaticiens de l’université à distance de Hagen ont intégré les « Sept
Passoires » élaborées par Klein/Stegmann dans un didacticiel sur CD-rom à
des fins de production des compétences de lecture. Ce cours sera présenté par
Eberhard Heuel dans la séance plénière de samedi [17].
Le CD est porteur du module de base pour acquérir une compétence réceptive dans
une langue romane sur la base des « Sept passoires ».
3.1.2. Pour mettre la méthode EuroCom à disposition d’un public
international, les deux premières adaptations des « Sept passoires »
à d’autres langues de départ ont été terminées cette année, à savoir pour le roumain
et l’italien[18]. Les
adaptions à l’anglais, au français, catalan, portugais et polonais sont très
avancées, d’autres pour l’espagnol, l’occitan le néerlandais et le grec sont en
préparation (sortie prévue pour 2003[19]).
Ces travaux sont publiés dans une série propre, les Editiones EuroCom.
3.1.3. A côté du module de base sur CD, auquel vont s’ajouter des
parties d’exercices, des projets sont actuellement en cours de préparation en
collaboration avec ‘Hessen Media on-line’ qui visent l’acquisition de certaines
langues romanes (dans un premier temps le roumain, l’italien et l’espagnol) à
des fins réceptives sur la base d’EuroComRom.
Ces projets devraient aboutir dans la période 2002-2005 (Klein/Rutke). Ils se
distinguent du projet CD-rom de Hagen sur cinq points : 1. L’acquisition
de la compétence réceptive est limitée à une seule langue cible sans pour
autant abandonner le cadre global d’EuroComRom.
2. Il est prévu de tenir compte sur un plan multimédia des différentes biographies d’apprentissage
des utilisateurs. 3. en collaboration avec F.-J. Meißner, EuroComDidact, les processus de transfert seront analysés (et donc
contrôlables et, par ce biais, dirigeables). 4. Ces modules seront complétés
par des commentaires de civilisation et d’histoire de la langue. L’avancement
de ces travaux sera documenté sur la Toile (www.eurocomprehension.de).
3.1.4. Les différentes langues de départ dans le réseau EuroCom ainsi
que les résultats des recherches d’EuroComSlav
et EuroComGerm rendent nécessaires
toute une série de modules supplémentaires et une coopération internationale.
Il ne s’agit pas ici seulement de la coopération entre les ‘sponsors’ que sont
les länder de Hesse et de Rhénanie du Nord-Westphalie. C’est pourquoi le groupe
de chercheurs a décidé la création de l’EuroComCenter international, destiné
dans un premier temps à coordonner les travaux, à distribuer les versions
d’essai on-line et finalement, à rassembler les résultats sur un portail
électronique en collaboration avec une organisation de télé-enseignement
européenne[20].
Les travaux d’EuroComDidact[21]
sont placés sous la direction de Franz-Joseph Meißner, Université de Giessen).
On trouvera toutes les informations voulues sur les recherches en didactique du
plurilinguisme de Meißner et de son groupe[22].
Nous renvoyons en particulier à la bibliographie dans Meißner/Reinfried[23].
EuroComDidact est la composante
didactique d’EuroCom. Elle analyse les possibilités d’accès optimales aux
langues romanes, slaves et germaniques – en relation avec les projets EuroCom.
Il s’agit d’une didactique transversale qui met en réseau les différentes
didactiques (pour l’allemand, l’anglais, le français, le russe etc.) dans le
sens de l’apprentissage plurilingue et interdisciplinaire. Parmi les nombreux
projets d’EuroComDidact citons les
principaux :
3.2.1. Dans le domaine de la recherche de base, EuroComDidact étudie la phase de passage entre la compréhension de
lecture et la compréhension orale. Un article d’orientation qui documente
l’état actuel de la recherche en Allemagne paraîtra sous peu dans la Zeitschrift für Fremdsprachenforschung[24].
3.2.2.EuroComDidact s’est
donné pour tâche de développer l’utilisation d’EuroComRom pour des contextes d’apprentissage différents et de
créer une méthode de test et d’évaluation.
3.2.3. Dans la foulée du projet Hessen-Media, EuroComDidact développe différents modules d’implication pour les
langues professionnelles. La demande en connaissances de langues étrangères est
importante sur le marché du travail des diplômés de l’enseignement supérieur.
Des cours de langues professionnelles sont actuellement en projet pour
l’histoire et la géographie de même que des modules pour l’économie et les
sciences de l’administration.
EuroComSlav a d’abord analysé en détails la possibilité de transposer le modèle
EuroCom aux langues slaves et a pris comme exemple le russe[25].
Les résultats ont été présentés au 35e Colloque linguistique
d’Innsbruck[26].
Entre-temps et sous la direction de Lew Zybatow, les travaux de base
concernant les éléments panslaves dans le lexique et la morphologie ont
considérablement avancé et seront présentés dans la section 4 du présent
congrès.
La branche la plus récente d’EuroCom, sous la direction de Britta
Hufeisen (Université technique de Darmstadt), est en cours de développement. Il
s’agit avant tout d’intégrer les expériences scandinaves et celles du projet
IGLO et de monter une équipe qui fasse avancer les recherches sur
l’intercompréhension germanique.
Au cours des nombreux tests d’EuroComRom
dans les universités en Allemagne, France, Autriche, Belgique et Catalogne et
surtout des travaux d’adaptation à d’autres langues de départ, on a obtenu de
nombreux résultats qui complètent les précédents et doivent être incorporés aux
travaux futurs.
Il est bien évident que les interlexèmes sont des porteurs de
l’intercompréhension romane. La très grande solidarité des structures
panromanes (l’identité des neuf types de noyaux de phrases et la plupart des
hypotaxes) fait que l’apprenant reporte directement, dans sa grammaire
spontanée, les structures syntaxiques d’une langue romane sur l’autre et
dispose par là d’une base opérationnelle pour le processus de transfert. Ce
processus lui-même passe apparemment par l’identification des interlexèmes dans
leur formes graphiques et sonores. Les inductions qu’elles soient lexicales ou
morpho-syntaxiques s’effectuent à partir de leur contexte. Des fois, il peut
être indiqué de faire suivre une comparaison romane.
La représentation papier ne se prête qu’imparfaitement à l’apprentissage
de l’intercompréhensibilité romane que ce soit au niveau de la morpho-syntaxe
ou de l’image acoustique. Une représentation multi-médiale animée peut y
remédier. C’est là une tâche importante quant à la présentation future des Sept
Passoires. Celle-ci doit rendre un modèle, lequel documentera les écarts
interlangues graphiques et morphologiques, aussi transparent que ce que l’on
rencontre par exemple dans l’écriture chinoise où les radicaux jouent le rôle
de pont dans le déchiffrage de signes complexes.
Dans le domaine des correspondances phonologiques, on peut apprendre
bien des choses de l’arabe. L’inexistence de voyelles dans la représentation
graphique traditionnelle arabe permet de surmonter les différences de variétés
et améliore la prestation des transferts de la variété 1 à la variété 2. Les
correspondances phonologiques qui représentent un morceau d’européïcité de(s)
(l’)écriture(s), documentent finalement les profils de chaque tradition écrite
nationale ou régionale. Il faut donc trouver une représentation animée qui
puisse montrer clairement à l’apprenant les similitudes et les écarts
graphiques.
4.3. Le rôle central des
mots-profils en tant qu’héritage culturel
Les nombreux exercices d’identification interlangues ont fait ressortir
l’importance de la connaissance des mots- et formes-profils. Pour renforcer la
motivation de l’apprenant, il est de toute première importance d’expliquer très
tôt les mots-profils, car, en règle générale, on ne les comprend pas au premier
abord. Le morphème pan-roman ‘mit’
(it., esp. con, port. com, roum. cu) se retrouve bien
comme préfixe en français et en catalan, mais a fait place dans ces langues à
un mot-profil (fr. avec, cat. amb) difficile à comprendre
d’emblée et donc souvent déterminant. Il faudra donc à l’avenir accorder plus
d’importance à la connaissance des mots- et formes-profils dans le processus
d’appréhension. Les mots-profils sont les véritables distinctions
significatives grammaticales dans un groupe de langues apparentées. our
minimiser le travail d’apprentissage et en même temps fixer de manière multiple
les structures nouvelles dans le lexique mental, il est à propos de donner des
informations sur l’historique de la langue pour documenter l’homogénéité et la
diversité de l’héritage européen.
4.4. Les
internationalismes
Etant donné que la structuration du lexique varie de langue en langue,
il est nécessaire de définir exactement le statut des interlexèmes, comme le
montre une étude récente[27].
Au sein même du groupe linguistique roman, on rencontre des exemples
discutés, particulièrement en français ou en roumain.
Bien entendu, le lexique roman ne présente pas les mêmes difficultés
pour un public romanophone que pour un public non-romanophone. Ce dernier
dispose souvent de connaissances imparfaites dans une seule langue romane dont
il se sert comme langue de transfert. En général, il s’agit du français.
Pour le romanophone, l’intercompréhensibilité pan-romane est une
expérience de tous les jours.
Un reproche vis-à-vis des méthodes interlangues concernent l’emploi de
faux-amis. Le risque de la faute concerne, au niveau de la production, les
langues qu’on utilise à des fins productives (transfert négatif), au plan de la
réception les langues proches qu’on apprend par le biais de
l’intercompréhension (type constipé/constipado).
Il est temps de changer radicalement de façon de voir les faux-amis. Ainsi
est-il évident qu’on a longuement surestimé leur importance.
Si l’on y ajoute les connotations spécifiques aux différentes cultures,
on doit compter chaque interlexème au nombre des faux-amis. Si l’on les
considère par contre comme interlexèmes liés à un contexte, capables de générer
un transfert, alors ils permettent en général un transfert positif ou au moins
un aperçu culturel. Le travail récent de Tanja Stahlhofen sur les
internationalismes montre bien que les réserves à l’égard des faux-amis ne
jouent pratiquement aucun rôle dans les fautes d’interférence[28].
Par contre, l’avantage pour l’apprenant est environ cinq fois plus grand que le
prétendu dommage qui est de toutes façon minimisé, sinon annulé par la
contextualisation.
4.6. Incorporation de la
compréhension auditive
L’acquisition de la compréhension auditive doit aller de pair, dès le
début, avec la compétence de lecture, car bien souvent c’est la bonne
prononciation d’une convention écrite qui en permet l’identification. Le mot
roumain meci, même dans le contexte
d’une émission sportive, ne conduit que par la prononciation (très proche du
terme anglais original) à l’internationalisme match. L’enseignement modulaire d’une compétence de lecture inclut
par là automatiquement les éléments de base de l’orthoépie pour soutenir le
transfert et préparer la compréhension orale.
Tandis que la lecture mène, dans un intervalle qui donne à l’apprenant
tout son temps, à la différenciation des éléments sémantiques, à
l’établissement des relations référentielles, à l’identification de structures
complexes à l’aide du transfert, la compréhension orale ne donne qu’une fenêtre
de temps très limitée à sa disposition. En ce peu de temps, il doit effectuer
le décodage. La technique de l’inférence comprend, au-delà des procédures de
l’analyse textuelle, la comparaison des paradigmes au niveau de la phonétique
et de la prosodie. Vu l’étresse des dites fenêtre du temps, l’étendue de la
compréhension auditive est soumise à des limitations de capacités mémorielles.
L’intercompréhension auditive exige la capacité de segmenter les signaux émis
conformément à la rapidité avec laquelle la chaîne parlée se réalise.
Le recours à la compréhension orale dans la Romania montre bel et bien
aussi le rôle que le français est prédestiné prendre en tant que langue-pont
pour toutes les langues de ce groupe. Nos systèmes orthographiques montrent les
essais historiques de transcrire l’orthoépie de la langue parlée dans des
conventions phonographiques. Dans ce cadre, il y a une foule de conventions
historiques qui ne représentent pas seulement un fardeau orthographique
superflu, mais qui donnent des informations culturelles sur la langue en
question. Dans le cas extrême, la langue fonctionne selon deux systèmes
différents : le français se révèle, comme le montre les études
diachroniques, dans le cadre des conventions scripturales romanes comme un
résultat des mutations du latin. Comme tous les autres idiomes de sa famille,
il est donc accessible de par sa romanité. Il est bien plus éloigné des
ressemblances pan-romanes et il présente d’autres caractéristiques
typologiques. Les langues qui
participent à deux systèmes typologiques sont particulièrement prédestinées à
devenir des langues-pont au sein d’un même groupe.
Les locuteurs et les utilisateurs du français comme langue-pont ont donc
les meilleures possibilités d’acquérir une compétence de lecture dans les
autres langues romanes. Car ils disposent à vrai dire de deux types
linguistiques : le code écrit roman et le code oral, typologiquement très
différent. Pour les locuteurs d’autres langues-pont, on peut dire que, pour ce
qui est du français comme cible des transferts, l’implémentation d’un module
supplémentaire en vue d’intégrer les bases de la compréhension orale est
absolument nécessaire. Pour les langues slaves, il semble qu’en raison des
différentes traditions de l’écriture et comme Zybatow le montre[29],
le russe soit particulièrement apte au rôle de langue-pont. La discussion qui
débute au sujet des langues germaniques ne pourra pas occulter l’anglais.
Une demande formulée dans le cadre de l’eurocompréhension concerne
toujours les tests et l’évaluation des prestations de transfert. Les premières
études comme celles des groupes d’étudiants dirigées par Klein[30]
et par Müller-Lancé[31]
ne sont pas encore suffisamment différenciées. Pour cette raison, Klein et
Meißner ont dans un séminaire commun au cours de l’hiver 2001/2002 préparé des
séries de tests que l’on peut consulter et contrôler sur la toile[32].
Les mots des textes proposés à l’appréhension sur la toile sont activables par
mulot et ont été programmés de telle sorte qu’ils fournissent une information
didactique renvoyant aux Sept Passoires.
L’apprenant (disposant de MS-Explorer 4.0 ou supérieur) peut compter les mots recherchés
marqués en bleu. Il connaît ainsi de combien et de quelles aides il a eu besoin
pour décoder un texte en langue inconnue. Il est ainsi possible de visualiser
les activités réalisées après plusieurs textes.
Je suis convaincu que ce deuxième congrès sur le plurilinguisme organisé
par l’Université de Hagen permettra de nouer des contacts fructueux, qui
ouvrent la voie à une collaboration synergique en faveur de
l’intercompréhension européenne tout comme l’a montré déjà le congrès
précédent.
[1] Commission
Européenne, Livre blanc sur l’éducation
et la formation. Enseigner et apprendre. Vers la société cognitive.
Luxembourg : Bureau des publications officielles de la Communauté
Européenne (1996).
[2] Gerhard Kischel/Eva
Gothsch (eds.), Wege zur Mehrsprachigkeit
im Fernstudium, Hagen (Université à distance) 1999.
[3] Le groupe de
recherche EuroCom réunit actuellement sept universités : université de
Francfort : Horst G. Klein, Linguistique des langues romanes, Tilbert D.
Stegmann, Litératures romanes ; université de Giessen : Franz-Joseph
Meißner, Didactique des langues romanes ; université technique de
Darmstadt, Centre des langues : Britta Hufeisen, Linguistique
appliquée/Etudes germaniques ; université à distance de Hagen :
Eberhard Heuel, Informatique pratique, Gerhard Kischel, Plurilinguisme
interculturel ; Institut Pédagogique/PH de Erfurt : Marcus Reinfried,
Didactique des langues romanes ; université de Leipzig : Gerhild
Zybatow, Linguistique des langues slaves ; université d’Innsbruck :
Lew Zybatow, Langues et cultures slaves et Traductologie ; coordination
des travaux : Dorothea Rutke, Munich. Accompagnement du groupe :
Peter Nelde, Centre de recherche sur le plurilinguisme, université catholique
de Bruxelles.
[4] Sanda Reinheimer
& Liliane Tasmowski, Pratique des
langues romanes, Paris 1997.
[5] Cf. la conférence à
venir de F.-J. Meißner et les interventions de la section 1 du congrès de
Hagen.
[6] Gerhard
Kischel, Einstieg in die interkulturelle Mehrsprachigkeit. Die „Hagener“
Lesekurse, in: Kischel/Gothsch, pp. 151-160.
[8] http://www.hum.uit.no/a/svenonius/lingua/.
Des interventions correspondantes sont prévues dans la section 2 du congrès de
Hagen.
[10] Particulièment
important et disposant d’un appareil bibliographique de grande valeur :
Franz-Joseph Meißner/Marcus Reinfried (eds.), Mehrsprachigkeitsdidaktik :
Konzepte, Analysen, Lehrerfahrungen mit romanischen Fremdsprachen, Tübingen
(Narr) 1998.
[11] Jørgen Schmitt Jensen, L’expérience danoise et les langues romanes, in :
Claire Blanche-Benveniste et André Valli (éds.) : L’intercompréhension : le cas des langues romanes. (Le
français dans le monde, numéro spécial) pp. 95-108. Vanves, janvier 1997.
[12] Schmitt Jensen 1977,
p. 96.
[13] Sabine Stoye, Eurocomprehension: Der romanistische Beitrag
für eine europäische Mehrsprachigkeit. Editiones EuroCom, t. 2,
Aix-la-Chapelle : Shaker 2000, p. 176
[14] Marcus
Reinfried, Innerromanischer
Sprachtransfer, in: Grenzgänge.
t. 12, 6e année, 1999, p. 123.
[15] Horst G. Klein &
Tilbert D. Stegmann, EuroComRom – Die
sieben siebe: Romanische Sprachen sofort lesen können, Editiones EuroCom, t. 1,
Aix-la-Chapelle : Shaker, 2000.
[16] Très détaillé dans :
Sabine Stoye (2000).
[17] Eberhard Heuel, Neue Medien und Fremdsprachenlernen. Mediendidaktische Aspekte von Sprachan-wendungen am
Beispiel des Programms ‘Sieben Siebe’, Hagener Kongressakten zu EuroCom (à
paraître).
[18] Sandra
Reinheimer/Horst G. Klein/Tilbert D. Stegmann, EuroComRom – Şapte Site,
Bucureşti 2001; et Gian Paolo Guidicetti/Costantino Maeder/Horst G.
Klein/Tilbert D. Stegmann, EuroCom Italia, Aix-la-Chapelle : Shaker 2001.
[20] Le site
d’information d’EurocomCenter se trouve sous: http://www.eurocomcenter.com
[21] Cf. Le lien à EuroComDidact
sur le site d’information EuroCom :
www.eurocomresearch.net sous
~/pubdid.htm et ~/linkdidact.htm.
[24] F.-J. Meißner & Heike Burk, Hörverstehen in
einer unbekannten romanischen Fremdsprache: Methodische Implikationen für den
Tertiärsprachenerwerb, in: Zeitschrift
für Fremdsprachenforschung n° 12 (I), 2001, pp. 63-102.
[25] Lew Zybatow (1999), Die Interkomprehension am
Beispiel der slawischen Sprachen. Zur Übertragbarkeit des EuroCom-Konzepts
romanischer Mehrsprachigkeit auf die slawischen Sprachen, in: Kischel/Gothsch,
pp. 67-88.
[26] Klein, Horst G.& Meißner, Franz-Joseph,
&Zybatow, Lew: The EuroCom-Strategy – The Way to European Multilingualism,
in: Lew Zybatow (Hg.): Sprachkompetenz-Mehrsprachigkeit-Translation.
Akten
des 35. Linguistischen Kolloquiums, Innsbruck,
20.-22. September 2000 (en cours d’impression).
[27] Parmi les travaux les plus récents : Tanja Stahlhofen, Die Transferleistung der Internationalismen
im Rahmen der Eurocomprehension, Francfort/Main (mémoire de maîtrise) 2001.
[28] Tanja Stalhofen
(2001), p. 86.
[29] Lew Zybatow: Die sieben Siebe
des EuroComRom für den multilingualen Einstieg in die Welt der slavischen
Sprachen, in: Grenzgänge 12
(1999) pp. 41-66.
[30] Cf. la statistique
en fin de l’article de Klein dans : Klein & Meißner & Zybatow (2001).
[31] Johannes Müller-Lancé, Zur Nutzung vorhandener Fremdsprachenkompetenzen
als Transferbasis für romanische Mehrsprachigkeit – ein empirischer Versuch und
seine psycholinguistische Relevanz in: Grenzgänge
6 (1999), vol. 12, pp. 85-95.
[32] http://www.eurocomprehension.de
: Le traitement du texte portugais est déjà en cours.